C’est arrivé le 13 novembre 2015 :

Publié le 13 novembre 2020

Les assassinats au Bataclan au nom de Daesch

PENSONS MIEUX POUR VIVRE MIEUX

Selon le philosophe André Comte-Sponsville

Les attaques terroristes du groupe Etat islamique et les assassinats commis le 13 novembre 2015 ont profondément choqué les esprits par leur ampleur, leur brutalité et leur fondement liberticide.  

L’onde de choc a été bien plus vaste que celle suscitée après l’assassinat des  dessinateurs de Charlie Hebdo et des clients de l’Hyper Casher qui ont marqué le début de l’année 2015. Parce que les 129 victimes et les centaines de blessés  ne peuvent plus être suspectées de ne pas l’avoir entre guillemets « quand même un peu mérité ».

L’écrivain du célèbre roman d’anticipation « 1984 », George Orwell écrivait : « le fascisme est psychologiquement bien plus solide que n’importe quelle conception humaniste de la vie ». Le socialisme et même le capitalisme, à contrecoeur, ont affirmé au peuple « Je peux vous offrir du bon temps ». De son côté Hitler a déclaré : « Je vous propose la lutte, le danger et la mort » .A la suite de quoi une nation tout entière s’est jetée à ses pieds. Nous ne devons pas sous-estimer son attrait émotionnel. »

Il ne faut pas sous- estimer non plus l’attrait religieux ou intellectuel de Daesch.

C’est pourquoi, il est primordial de ne jamais cesser de plaider en faveur de l’intelligence et du cœur avec la pensée d’un philosophe  humaniste et écrivain, français, André Comte-Sponville,  qui est notamment membre du Comité Consultatif National d’Ethique. 

Je vous propose un exercice de philosophie avec André Comte Sponvile, un philosophe humaniste français pour qui la philosophie sert à penser mieux pour vivre mieux.

Je reprends ici la teneur d’une conférence que Comte-Sponville a donnée en fin 2003 et qui pourrait servir à penser mieux suite aux tragiques attentats que le groupe Etat islamique avait perpétrés ce13 novembre 2015 et à tous ceux qui ont hélas suivis et suivront encore.

Quand on demande à Comte-Sponville à quoi sert la philosophie, il répond : la philosophie sert, ou elle y tend, quand il s’agit de penser mieux pour vivre mieux. J’ajouterais aujourd’hui : penser mieux pour vivre tout court.

Alors parce qu’il est urgent de penser mieux , j’ai extrait  l’essentiel d’une conférence que le philosophe français André Comte- Sponville a donnée en décembre 2003, et dont la teneur reste bien trop ancré dans notre pénible réalité de société 17 ans plus tard . Dix-sept années passées à nous perdre dans un langage politiquement correct donc inapte à une réflexion non biaisée, dans un engrenage quasi schizophrénique de communautarisation, politiquement  exploité, et pour ce qui est de notre plat pays, de morcellement des pouvoirs en accaparements de pouvoirs

Voici les idées conductrices du philosophe.

Sa question centrale porte sur la recherche des valeurs pour le 21eme siècle.

Pour répondre à cette question, le philosophe a commencé par poser la question de l’égalité des civilisations. Pour lui, « elles ne sont pas toutes égales ni en droit ni en valeur. Dans le passé, soutient-il,  il a toujours existé des différences de fait et de valeur entre les civilisations. .. au nom de quoi ce qui a toujours été vrai dans le passé, ne serait plus vrai aujourd’hui. »

Je vous rappelle qu’il s’exprime en 2003, 2 ans après le choc  du 11 septembre 2001.

Le philosophe dit à ce propos : « De ce point de vue, le 11 septembre 2001 a été un choc extrêmement désagréable, car les attentats semblaient donner quelques crédits à la thèse du politologue américain Huntington, que toute l’Intelligentsia française avait considéré comme nulle et non avenue, à savoir qu’après la lutte des classes, le conflit des idéologies ou le conflit des blocs est/ouest, le monde entrait dans un autre type de conflit, qui n’opposait plus des classes ou des systèmes politiques mais des cultures, des civilisations, et c’est ce que Huntington appelait donc le Choc des civilisations. Force est de reconnaître que le 11 septembre semblait donner quelques éclats à cette thèse. Et voilà nos intellectuels bien embarrassés…

André Comte-Sponville continue ainsi : car s’il y a choc ou conflit des civilisations, il va falloir choisir son camp. Or, la quasi-totalité de l’Intelligentsia parisienne baignait depuis des décennies dans l’idée confortable que toutes les civilisations sont égales, qu’elles se valent toutes.
Le problème est que si elles se valent toutes, au nom de quoi en choisir une plutôt qu’une autre ?

 « Ne croyez pas que dire que toutes les civilisations se valent ce soit défendre les droits de l’homme. C’est exactement l’inverse. »
Comte-Sponville détruit une idée bien ancrée parce que si toutes les cultures se valaient, on ne pourrait plus dire qu’une culture qui respecte les droits de l’homme est supérieure à une culture qui ne les respecte pas.                          

Faut-il vraiment définir de nouvelles valeurs et le philosophe doit-il en inventer ? Comte-Sponville répond : que cela fait, en gros, 2500-3000 ans qu’on nous dit, dans toutes les grandes civilisations du monde, et sans aucune exception, que la sincérité vaut mieux que le mensonge, que la générosité vaut mieux que l’égoïsme, que le courage vaut mieux que la lâcheté, que la douceur et la compassion valent mieux que la violence et la cruauté, que l’amour vaut mieux que la haine… Est-ce que, pour faire moderne, il faut dire que ce n’est plus vrai aujourd’hui ?

Bien sûr que non. Si vous croyez en Dieu, vous allez vivre en même temps votre foi et votre fidélité. C’est la figure traditionnelle, c’est très bien comme ça, continuez. Mais si vous ne croyez pas ou plus en Dieu, il vous reste à être au moins fidèle à ces valeurs que nous avons reçues et que donc nous avons à charge de transmettre.

Que reste-t-il de l’Occident chrétien quand il n’est plus chrétien ?

Il dit : S’agissant de nos pays (ce serait différent si l’on était en Chine, au Maroc ou au Japon, mais il se trouve que nous sommes en France, en Europe, que nous sommes d’Occident), la vraie question,  aujourd’hui, me semble-t-il, est la suivante : Que reste-t-il de l’Occident chrétien quand il n’est plus chrétien ?

Sa réponse particulièrement d’actualité quand il dit :  

– Ou bien vous pensez qu’il n’en reste rien, et alors il n’y a plus qu’à aller se coucher : nous n’avons plus rien à opposer ni au fanatisme, à l’extérieur, ni au nihilisme, à l’intérieur — et croyez-moi, le nihilisme est de très loin le danger principal.

– Ou bien, et je ne vois pas d’autre possibilité, il en reste quelque chose de l’Occident chrétien quand il n’est plus chrétien. Et si ce qu’il en reste n’est pas une foi commune (puisqu’elle a cessé de fait d’être commune : aujourd’hui  ( je vous rappelle c’était en 2003)  un français sur deux est athée ou agnostique, un sur quatorze est musulman…), ce ne peut être qu’une fidélité commune, c’est-à-dire un attachement partagé à ces valeurs que nous avons reçues et que nous avons à charge de transmettre. Autrement dit, le principal danger, ce n’est pas le fanatisme seul, c’est que nous n’ayons plus rien à opposer au fanatisme que le nihilisme. Là, effectivement, on peut perdre ; et, si on gagne, cela pourrait être pire.

Vous savez ce qu’on écrivait sur les murs, en mai 1968, « tout est possible, même rien ». Il m’a fallu longtemps pour comprendre que « rien » était justement le pire.

Les droits de l’homme ne sont pas le bien exclusif de l’Occident. Ils font partie de ce que Gorbatchev appelait « les valeurs communes de l’humanité ».

Attention à ne pas tomber dans le fantasme nocif et faux de la guerre des civilisations!  Au fond ce qui donne tort à Samuel Huntington dans son livre sur Le Choc des civilisations, et à tous ceux qui s’amusent à se faire peur, c’est ce fait incontestable qu’il existe des démocrates musulmans et des fascistes judéo-chrétiens.

La ligne de front n’oppose pas les religions les unes aux autres. Elle n’oppose pas davantage les civilisations. Elle oppose les démocrates à ceux qui ne le sont pas.

Deux mille ans après le début de l’ère chrétienne, l’horreur des exactions commises est toujours aussi insoutenable…L’humanité ne progresse pas. Mais les sociétés, si. Notre société, spécialement en Europe, est très supérieure, à peu près à tous égards, à celle de l’Empire romain ou du Moyen Âge. Mais l’espèce n’évolue pas en deux millénaires. Et donc le pire est toujours possible. Ce qui est frappant, c’est la contribution des religions à ce pire ; en se réclamant d’un bien prétendument absolu, des humains s’autorisent les pires horreurs. On pouvait penser que c’était derrière nous. « Dieu est mort », assurait-on. Et on découvre que non seulement Dieu n’est pas mort, ou pas pour tous, mais qu’il y a ce fameux retour du religieux qui peut prendre les formes les plus effrayantes et les plus archaïques : celles des persécutions, des fanatismes, des guerres de religions. La modernité en prend un coup!

Une nouvelle alliance est possible entre tous ceux qui refusent les extrémismes

L’adversaire aujourd’hui, ce n’est plus l’Église catholique, c’est le fanatisme, l’obscurantisme, le terrorisme, qu’il se réclame d’une religion ou qu’il soit parfaitement athée. Cela veut dire aussi qu’une nouvelle alliance est possible entre tous ceux qui refusent les extrémismes, contre ceux qui veulent imposer par la violence leur propre conception du monde. Une civilisation est un art de jouir ; et cela vaut mieux qu’une jouissance brutale ou sans art.

Je terminerai en rapportant ce qu’a écrit André Comte-Sponville aux lendemainS des meurtres odieux dans l’école juive à Toulouse en mars 2012 et qui sont hélas encore tellement de circonstances. Il écrivait : « Rien n’effacera l’horreur de ce qui s’est produit, ni ne rendra la vie aux victimes, ni ne consolera leurs proches. A nous de transformer notre émotion en résolution, en détermination, en obstination, en courage. Le combat contre le fanatisme n’est pas seulement un combat contre la haine. C’est un combat pour la paix, la liberté, la justice: toutes choses que nous devons à nos enfants, donc aussi – telle est la leçon de Toulouse – aux enfants des autres. »

N’oublions pas : pensons mieux pour vivre mieux.

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